Des membranes organisées en "lipid rafts" : une invention ancestrale des cellules ?
Une équipe de recherche impliquant des membres du laboratoire MAP (Université Claude Bernard Lyon 1 / INSA Lyon / CNRS) [1] a déchiffré la composition lipidique des membranes des Archaea, les plus résistantes à aux conditions extrêmes.
Cette étude montre que l'organisation spatiale en domaines membranaires bien connue chez les cellules bactériennes et eucaryotes serait un invention qui prédate la séparation des 3 domaines du vivant. Cette étude est publiée dans la revue Frontiers in Microbiology.
La membrane plasmique, une barrière à l'origine de la vie cellulaire
Première barrière séparant les milieux intra et extracellulaire, la membrane plasmique est absolument essentielle à la vie cellulaire. Elle joue un r?le fondamental pour de nombreuses fonctions physiologiques essentielles, comme la régulation des flux entrants et sortants, la production, le stockage et l’utilisation d’énergie, la détection du milieu extracellulaire, la motilité ainsi que l’adaptation des micro-organismes à leur environnement.
Pour assurer ces fonctions, la membrane plasmique est une mosa?que fluide composée d’une pellicule lipidique dans laquelle sont ench?ssées diverses protéines. De plus, sa fonctionnalité doit rester stable quelques soit les variations des paramètres environnementaux sous peine de conduire à la mort de la cellule.
La membrane, une structure mosa?que et dynamique
La structure de la membrane telle qu’imaginée aujourd'hui est basée sur des molécules amphiphiles, constituées d’une tête hydrophile – qui a une affinité pour l’eau- et d’une queue hydrophobe – qui repousse l’eau -. Du fait de ces deux parties opposées, les molécules s'assemblent spontanément sous forme de bicouche.
Or, jusqu’à présent une des routes admises d’adaptation aux températures extrêmes chez les organismes les plus extrêmophiles reposerait sur l’utilisation de lipides bipolaires organisés en monocouche et non en bicouche. Il en résulterait une membrane plus compacte, plus rigide et plus imperméable. Ces lipides bipolaires sont donc naturellement associés à l'adaptation aux conditions extrêmes chez les Archaea et maintenant chez les bactéries.
Cette vision simple de l'adaptation de la membrane est aujourd’hui remise en cause. La découverte d'espèces incapables de synthétiser ces lipides bipolaires, mais capables de vivre à des températures proches ou supérieures à 100 °C, suggère que la bicouche aussi peut avoir évolué pour tolérer ces conditions extrêmes.
Etudier la composition des membranes des extrêmophiles pour comprendre l'adaptation des memrbanes à l'environnement
Pour expliquer la stabilité extrême de la bicouche membranaire chez les organismes les plus extrémophiles, une équipe du laboratoire MAP a proposé un nouveau scénario. La stabilité de la membrane reposerait sur une architecture membranaire différente de la bicouche classique. Ce modèle d'architecture implique une organisation spatiale dans la membrane, c'est à dire que la membrane est organisée en domaines de composition en lipides différente. Ces différences de composition conduisent à des différences de propriétés physiques et chimiques (perméabilité, rigidité, courbure) de la membrane. Cela implique des fonctionnalités différentes de ces domaines distincts. Cette organisation, connue sous l'appellation de "lipid raft" chez les eucaryotes, est pour l'instant inconnue chez les Archaea.
L’objectif des scientifiques était donc de mieux connaitre la répartition potentielle de cette architecture membranaire chez les Archaea. Pour cela, ils ont étudié la composition en lipides des membranes de ces organismes polyextremophiles. La connaissance précise de la composition en lipide des membranes permettra d’étudier expérimentalement le comportement de la membrane en conditions extrêmes.
Ainsi cette étude fournit la description la plus complète des compositions en lipides membranaires pour un groupe d'Archaea polyextrémophiles, les Thermococcales, capables de croitre jusqu'à des températures de 113°C. Elle démontre dans ce groupe la présence d'une membrane composée en partie de domaines en mono et en bicouche lipidiques. Elle montre par ailleurs que cette organisation en domaines fonctionnels peut être extrapolée à l'ensemble des Archaea, et qu'ainsi elle prédate la séparation des trois domaines du vivant (Archaea, Bactéries, Eucaryotes).
[1] Laboratoire Microbiologie, adaptation et pathogènie
Tourte, M., Schaeffer, P., Grossi, V., and Oger, P.M. (2020). Functionalized Membrane Domains: An Ancestral Feature of Archaea? Front Microbiol 11, 526
Publié le 29 avril 2020 – Mis à jour le 15 juillet 2021